lundi 14 mai 2012

Ce que François Hollande promet à l’Afrique











Les Afriques : Les échanges économiques, tels qu’ils opèrent entre la France et l’Afrique, vous semblent-ils satisfaisants ?

François Hollande :
 Ils progressent, mais devraient être supérieurs encore, en quantité et en qualité. Ne nous voilons pas la face : la part des matières premières reste massive dans ces échanges, qu'il s'agisse des importations françaises d’hydrocarbures ou des investissements nécessaires à son extraction. De même, le blé reste le premier produit d'exportation français vers l'Afrique ! Je m'en réjouis pour nos agriculteurs, mais ce qui serait souhaitable, c'est une diversification des échanges, au bénéfice des deux parties. Plus d'importation de produits manufacturés sur le continent, car c'est l'intérêt de l'Afrique, plus d'exportations de la part des PME françaises, qui restent en retard par rapport à leurs homologues allemandes ou italiennes.

LA :Comment pourraient-ils s’accroître ?

F.H : Pour les aider, la France doit avoir sur le continent un réseau solide d'appui aux exportations et aux investissements. Je souhaiterais d'ailleurs que soit menée une évaluation indépendante - par exemple dans le cadre du Parlement - de ce dispositif, dont la majorité sortante a entamé la privatisation. L'Afrique est le continent le plus proche du nôtre, c'est le plus grand marché en devenir à l'échelon mondial, j'entends que la France y reste un acteur économique majeur, dans un rapport mutuellement profitable.

LA : Quelles sont d’après vous les filières qu’il faut mettre en avant ?

F.H : La France dispose d’une expertise internationalement reconnue en matière de développement durable. C’est vrai pour les métiers de l’eau, de l’énergie, de l’agro-alimentaire ou de l’exploitation durable des forêts. La France dispose également d’une expertise enviée dans les métiers de l’aménagement urbain, de l’assainissement, de la gestion des déchets, des transports, etc. Or, en 2030, un Africain sur deux sera citadin. D’ici là, la population urbaine d’Afrique doublera, pour atteindre plus de 600 millions de personnes. Il s’agit du processus d’urbanisation le plus rapide qu’ait connu la planète. L’accompagnement de ce processus historique est donc un débouché naturel pour les entreprises françaises de petite, moyenne et grande taille, en parfaite complémentarité avec la politique de solidarité que déploie notre pays à travers, notamment, les interventions de l’Agence française de développement. Nos partenaires africains nous demandent cette expertise, qui mobilise les derniers savoir- faire disponibles. Nous aurions tort de ne pas nous mobiliser pour y répondre pleinement.

LA : Pensez-vous que les entreprises françaises auraient intérêt à davantage développer des partenariats avec l’Afrique ?

F.H : L’Afrique est un continent en pleine croissance, économique comme démographique. On attend un milliard d’habitants supplémentaires au Sud du Sahara d’ici seulement quarante ans ! Cette croissance représente un immense défi, car il faudra que des investissements publics considérables l’accompagnent, mais cela représente également un marché en pleine expansion, comme en témoigne, par exemple, l’explosion de la demande en matière de télécommunications. Il n’y a pas de raison pour que les entreprises françaises ne bénéficient pas des opportunités que présente le retour de la croissance économique en Afrique subsaharienne. Les instruments d’aide au commerce extérieur français sont là pour les accompagner, et je souhaite qu’ils puissent renforcer leurs services aux petites et moyennes entreprises françaises qui souhaitent développer des activités en Afrique.

LA : S’agissant de la Responsabilité sociale des entreprises françaises en Afrique, considérez-vous que l’investissement sur ce plan soit suffisant ? Que faudrait-il, le cas échéant, mettre en oeuvre pour encourager des partenariats gagnant-gagnant ?

F.H : La France, ses entreprises et ses partenaires africains ont le même intérêt à un développement économique réel et durable – d’un point de vue environnemental et social – du continent africain. A quelques mois de la grande conférence de Rio +20 sur l’avenir de la planète, on voit bien que la réplication des succès économiques d’hier ne suffira pas : pays du Nord et du Sud, tous au pied du mur, sont désormais contraints d’inventer, conjointement, les modèles de croissance de l’avenir, plus inclusifs et plus économes en ressources rares. Je pense que nous devons faire plus, par exemple pour défendre le travail décent et des normes sociales élevées. Enfin, puisque vous m’interrogez sur la responsabilité sociale des entreprises, je pense que certaines valeurs doivent être davantage défendues, notamment la transparence. C’est la raison pour laquelle je soutiens la campagne «Publiez ce que vous payez», mais aussi toutes les initiatives visant à ce que les grandes entreprises rendent publics leurs comptes détaillés par pays.

LA : Que pensez-vous de la Déclaration de consensus africaine pour Rio + 20, et notamment de la nécessité des « pays développés » - et les plus pollueurs - à allouer 0,7% de leur PIB aux « pays en développement », et de la nécessité de rechercher une solution pour l’annulation de la dette « des pays en développement », tel que l’a, du reste, souligné, Denis Sassou Nguesso, président de la République du Congo, le 8 février, à Lyon, lors du Forum francophone préparatoire à Rio + 20 ?

F.H : Je ne peux être que d'accord avec de nombreux points de la déclaration de consensus, qui font d'ailleurs partie de mon programme : création de nouveaux indicateurs en plus du PIB, et soutien à la création d'une organisation mondiale de l'environnement (OME), notamment. L'UE a déjà proposé de s'engager sur 30 % d’émissions de CO2 en moins en 2020 par rapport à 1990, si d'autres pays prenaient des engagements, malheureusement elle n'a pas été suivie. Pour ma part, je soutiens cet objectif de -30% d'émissions de GES pour la France. Concernant l'aide au développement, parvenir à 0.7% constitue un engagement international de la France, que je m'efforcerai de tenir, même s’il faut souligner que l’effort réel de la France est aujourd’hui inférieur de moitié à ce chiffre. Depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, les écarts de richesse se sont malheureusement considérablement accrus entre les pays les plus riches et les plus pauvres, et au sein des pays-mêmes. Ces écarts sont inacceptables. Rio + 20 devra montrer une volonté forte d'évoluer vers un modèle de développement beaucoup plus juste et plus durable.

LA : Quel devrait concrètement être l’apport de la France - et la mobilisation francophone - pour Rio + 20, en particulier vis-à-vis de l’Afrique ?

F.H : Un point essentiel de Rio+20 est de se donner les moyens d'une transition la plus rapide possible vers une économie verte au niveau mondial, conciliant les enjeux écologiques globaux et la lutte contre la pauvreté. C'est également un point fort de la déclaration de consensus africain. L'Afrique est particulièrement exposée au changement climatique et doit par ailleurs pouvoir bénéficier de tout le soutien possible pour aller vers un développement durable, qui ne nécessite pas de reconversion écologique ou énergétique dans quelques années. Ainsi, je suis favorable à ce qu’une partie des fonds additionnels, issus du produit de la taxe sur les transactions financières actuellement discutée en France et en Europe, soient affectés clairement à l'adaptation au changement climatique, à l'efficacité énergétique, et aux énergies renouvelables. Nous ferons également front commun avec l'Afrique sur le projet d'organisation mondiale de l'environnement (OME), et pour que les questions d'environnement et de développement soient étroitement liées.

LA : De manière plus générale, pensez-vous que le continent africain souffre d’une mauvaise image à l’international, et, en particulier en France ?

F.H : L'image internationale de l'Afrique ne correspond sans doute pas à ce qu'elle est réellement. Elle continue à être bien souvent réduite à des clichés. Or, il ne fait pas de doute dans mon esprit que l'Afrique de 2012 n'est plus celle d'il y a vingt ans. Si parmi 54 Etats, beaucoup gardent des économies fragiles et inégalitaires et quelques uns sont sous la coupe de régimes autoritaires, l'Afrique ne peut être assimilée entièrement à cela. C’est le continent de demain, celui qui va franchir les caps déjà atteints par l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est. C'est dans la décennie à venir que la croissance de l'Afrique doit s'accélérer pour permettre à la prochaine génération de trouver sa place dans la société. Le regard français sur l'Afrique n'échappe malheureusement pas toujours aux caricatures que j'ai évoquées. Chacun se souvient du tristement célèbre discours de Dakar et des clichés sur «l’homme africain», insuffisamment entré dans l’Histoire. Les lecteurs de les Afriques à Abidjan, Dakar, Rabat et ailleurs sont la preuve vivante que l’Afrique bouge à toute vitesse. Mais les regards changent, et ces dérapages feront à leur tour partie de l’histoire. Les relations sociales qui, à tous les niveaux de la société, établissent des ponts de communication entre Français et Africains permettent une proximité réelle. Si je suis élu, je serai attentif à ce que ces échanges soient favorisés, notamment entre jeunes Français et jeunes du continent africain, afin qu’ils puissent regarder ensemble vers l’avenir.

LA : Quelles sont les avancées significatives qu’il convient de souligner dans les relations entre la France et l’Afrique ?

F.H : Dans mon discours d’investiture, j’ai évoqué la nécessité de répudier les «miasmes de la Françafrique ». Je pense qu'en dépit des régressions enregistrées ces dernières années, les relations entre la France et l'Afrique sont nécessairement sur la voie d'un assainissement et d'une modernisation. Je veux surtout regarder vers l’avenir : une rénovation en profondeur des relations de la France avec l’Afrique est possible, et elle est attendue par de nombreux Français. A cause de l'histoire commune, à cause de la proximité géographique, les relations entre la France et l'Afrique ne seront jamais banales. Mais elles doivent être normalisées, sortir du paternalisme d’antan, être en phase avec l'Afrique d'aujourd'hui, qui est jeune et entreprenante. 

LA : Personnellement, que connaissez-vous de l’Afrique ? Quelles sont les valeurs promues par le continent africain qui vous inspirent ?

F.H :Ayant été pendant dix ans premier secrétaire du Parti socialiste, j'ai eu maintes occasions de travailler avec des Africains, par exemple dans le cadre de l'Internationale socialiste, ou de rencontrer des chefs d'Etat et de gouvernement du continent. Récemment, je me suis également rendu en Algérie et en Tunisie. Vous me demandez quelles valeurs présentes en Afrique m'inspirent. Il est toujours délicat de faire des généralisations : à l’échelle d’un continent elles se révèlent souvent abusives. Le titre de votre publication invite d’ailleurs à respecter la diversité du continent africain. Mais puisque vous m’y invitez, je pense qu’une valeur assez partagée est celle de la solidarité, qui est une qualité que beaucoup reconnaissent aux Africains ce qui ne me déplaît évidemment pas. Je pense aussi à la persévérance et au courage qui caractérisent les populations de pays où le revenu reste souvent insuffisant et le quotidien difficile. Le regard que je porte sur le continent est donc foncièrement positif et optimiste, avec des défis nombreux qui restent devant nous.

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