Tentatives
d’explication des crises financières (la
1 ère partie)
Tenter de
comprendre les crises financières ne consiste certainement pas à dire quel
facteur ou quelle information nouvelle (la faillite d’une entreprise ou d’une
banque, une mauvaise statistique conjoncturelle…) a pu déclencher, pour telle
ou telle crise (celle des tulipes, celle de 1929,celle des subprimes…) le début
de la panique. Cela consiste plutôt à comprendre pourquoi, pendant une période
plus ou moins longue, les marchés financiers ressentent un tel engouement pour
un actif, un placement ou une innovation (les bulbes de fleurs, les valeurs
dites « dotcom », les produits titrisés…) qu’ils en perdent tout sens de la mesure
et toute considération du risque. Les explications de ces phases d’emballement
sont multiples. Certaines portent plutôt sur la « périphérie » de la logique
financière sans la remettre en cause. Il suffirait de lui apporter quelques
améliorations (par exemple une information plus complète), de faire quelques
réglages, pour que tout reparte d’un bon pied. À regarder les décisions prises
dans la foulée des crises des dernières décennies (l’avenir dira si la crise
des subprimes constitue une exception), il semblerait que la communauté
internationale ait ce type d’opinion. Ni après la crise de 1987 ni après celles
de 1997 et 1998, elle n’a modifié en profondeur la régulation du capitalisme
financier, se contentant de mesures rendues nécessaires par la dernière crise
en date.
Des
failles dans les informations et les compétences
Pour
certains, les emballements des marchés, et les crises qui leur succèdent,
doivent trouver leur explication soit dans un défaut de l'information (elle ne
serait ni assez complète ni assez transparente) soit dans un défaut de
compétence (les professionnels seraient mal formés), mais pas dans la nature
même du modèle.
Une information
incomplète
Ce
reproche est souvent fait, a posteriori, par les investisseurs qui se sont fait
« piéger ». Les informations mises en accusation peuvent être de nature
macroéconomique ou microéconomique.
■
Les
statistiques macroéconomiques
Au niveau macroéconomique, il est d’usage
de pointer du doigt, a posteriori, l’opacité des pays dans lesquels on a perdu
de l’argent. Par exemple, certains commentateurs ont considéré que les crises
de 1997 s’étaient déclenchées en partie parce que les statistiques des pays
asiatiques manquaient de transparence et de fiabilité. Après avoir utilisé l’expression
de « miracle asiatique », on utilisait à l’égard des Dragons
Le qualificatif « économies de la
connivence ».
Une analyse en termes d’insuffisance de
l’information a également été faite dans le cas de la crise russe de 1998.
Peut-être cet argument n’est il pas entièrement infondé pour certaines crises,
mais il ne suffit sans doute pas à expliquer ni les excès d’enthousiasme ni les
déclenchements des crises.
Dans le cas de la crise asiatique, le
fait que les statistiques gonflaient peut-être la croissance ne constitue pas
l’élément central de la crise. Comme le remarque Paul Krugman dans Pourquoi les
crises reviennent toujours, il ne faut pas douter de la réalité de la
croissance asiatique avant 1997 : « Les progrès de l’Asie étaient visibles à
l’oeil nu – les gratteciel là où autrefois il n’y avait que des cabanes, les
routes à la place des pistes, les automobiles au lieu des bicyclettes. »
■ Les
comptes des sociétés
Au
niveau microéconomique, on déplore parfois l’information insuffisante, voire
mensongère, dispensée par les comptabilités des entreprises, ainsi qu’un
contrôle trop lâche exercé par leurs dirigeants, quand ce n’est pas des
pratiques mensongères ! Il y a quelques années, plusieurs affaires ont défrayé
la chronique aux États-Unis : Imclome (biotechnologies), Qwest Com et WorldCom
(télécommunications)… mais surtout Enron.
Cette
société texane, spécialisée dans le courtage de l’énergie, s’était développée
très rapidement au point de devenir une des plus grosses capitalisations
américaines. Elle procédait à une telle inventivité comptable et juridique que
le chiffre d’affaires était exagérément gonflé, les actifs largement surévalués
et la situation globale du groupe très difficile à saisir. Les comptes étaient
certifiés par le cabinet comptable
Arthur
Andersen. Celui-ci avait fait plus que fermer les yeux ; il avait activement
couvert certaines manipulations, par exemple en détruisant des documents. Quand
l’engouement général pour Enron a brusquement cessé, une spirale s’est
enclenchée qui a non seulement conduit Enron à la faillite (en décembre 2001),
mais aussi entraîné la condamnation et le dépeçage du cabinet Arthur Andersen,
qui avait perdu ce qu’il y a de plus précieux pour ce genre d’activité : sa
réputation. Si le marché est mal informé à causes de manipulations comptables, comment
pourrait-il fonctionner de façon efficace ? À la suite des affaires de
manipulation comptable du début des années 2000, plusieurs pays, dont les
États-Unis, ont durci les exigences imposées aux entreprises en matière de
fiabilité des informations. En France, cela s’est traduit par la loi de
sécurité financière du 1er août 2003 puis par la loi du 26 juillet 2005 pour la
confiance et modernisation de l’économie.
■
L’absence
d’information concernant certains nouveaux acteurs de la finance
Qu’il puisse y avoir, dans le domaine des
statistiques macroéconomiques, une information incomplète ou embellie, est un
reproche souvent fait par le monde de la finance. En revanche, certains font le
même type de reproche au monde de la finance. Ils déplorent que des nouveaux acteurs,
comme les « hedge funds », n’aient à respecter presque aucune obligation
d’information et ne soient pas soumis au contrôle prudentiel.
Des compétences
dépassées par la complexité ?
■ Chez
les non-spécialistes de la finance…
La
complexité des produits et des montages financiers devient parfois telle que
les acteurs peinent peut-être à s’y retrouver eux-mêmes. En tout cas, elle
brouille singulièrement la vue de ceux qui sont à chacun des bouts de la chaîne
financière : les emprunteurs et les prêteurs. Dans le rapport n° 78 du CAE
consacré à La Crise des subprimes, les auteurs constatent la « hausse des prêts
aux ménages économiquement les plus fragiles (…) Or, dans le même temps, les contrats
de prêts sont devenus de plus en plus complexes : en particulier, la part des
prêts à taux variables et des prêts hybrides (dont le taux est réajusté à la hausse,
après une période de deux ans, par exemple) a fortement augmenté. » Il n’y a
pas qu’aux emprunteurs que les professionnels de la finance proposeraient des
produits qui dépassent leurs compétences et dont ils ne peuvent pas se méfier.
« À l’autre bout de la chaîne, constate le même rapport, certains épargnants
ont aussi été victimes de la complexité des produits financiers. » Du fait de
certains habillages publicitaires équivoques, des ménages, soucieux de placer
leurs économies, ont cru acquérir des placements monétaires sans risque alors qu’ils
achetaient des produits risqués issus de la titrisation. Jouer ainsi sur le
manque de compétence financière des gens dont ce n’est pas le métier entretient
la frénésie pour la finance quand tout va bien. Mais ce genre de pratique sape,
lorsque les choses tournent mal, un principe fondamental de la sphère
financière : la confiance.
■ … et
aussi chez les professionnels
Il
se peut aussi que les acteurs des marchés eux-mêmes, ainsi que les autorités
chargées de les réglementer, soient constamment en retard par rapport aux
dernières innovations financières. Le rapport n°50 du
CAE
sur les crises financières estime ainsi que « chaque innovation majeure, en
stimulant de nouvelles stratégies, a débouché sur une fragilité financière,
appelant en retour une forme ou une autre de réglementation ». Ainsi, pour ne
prendre qu’un exemple, le rapport estime que la crise boursière de 1987 semble
résulter, entre autres facteurs, de « la généralisation de routines
d’achat/vente incorporées dans des logiciels (programm trading) ». À chaque
fois, la communauté financière mettrait du temps à s’adapter à ses propres
innovations, ce qui entretiendrait une séquence « innovation, crise,
apprentissage ». La réglementation, quant à elle, serait toujours « en retard
d’une guerre ». Dans l’ouvrage collectif Comprendre la finance contemporaine, Paul
Jorion fait ce constat à propos des subprimes : « Réglementer prend beaucoup de temps, et c’est une
tâche ardue (…) Les premières mesures sur la réglementation du secteur subprime
sont entrées en vigueur en décembre 2007, alors que ce secteur n’existe plus
depuis l’été 2007, date à partir de laquelle aucun prêt de ce type n’a plus été
accordé. »
A SUIVRE DANS LA DEUXIÈME PARTIE
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire