vendredi 16 mars 2012

Tentatives d’explication des crises financières (la 1 ère partie)


Tentatives d’explication des crises financières  (la 1 ère partie)

 Tenter de comprendre les crises financières ne consiste certainement pas à dire quel facteur ou quelle information nouvelle (la faillite d’une entreprise ou d’une banque, une mauvaise statistique conjoncturelle…) a pu déclencher, pour telle ou telle crise (celle des tulipes, celle de 1929,celle des subprimes…) le début de la panique. Cela consiste plutôt à comprendre pourquoi, pendant une période plus ou moins longue, les marchés financiers ressentent un tel engouement pour un actif, un placement ou une innovation (les bulbes de fleurs, les valeurs dites « dotcom », les produits titrisés…) qu’ils en perdent tout sens de la mesure et toute considération du risque. Les explications de ces phases d’emballement sont multiples. Certaines portent plutôt sur la « périphérie » de la logique financière sans la remettre en cause. Il suffirait de lui apporter quelques améliorations (par exemple une information plus complète), de faire quelques réglages, pour que tout reparte d’un bon pied. À regarder les décisions prises dans la foulée des crises des dernières décennies (l’avenir dira si la crise des subprimes constitue une exception), il semblerait que la communauté internationale ait ce type d’opinion. Ni après la crise de 1987 ni après celles de 1997 et 1998, elle n’a modifié en profondeur la régulation du capitalisme financier, se contentant de mesures rendues nécessaires par la dernière crise en date.
Des failles dans les informations et les compétences

Pour certains, les emballements des marchés, et les crises qui leur succèdent, doivent trouver leur explication soit dans un défaut de l'information (elle ne serait ni assez complète ni assez transparente) soit dans un défaut de compétence (les professionnels seraient mal formés), mais pas dans la nature même du modèle.

Une information incomplète
Ce reproche est souvent fait, a posteriori, par les investisseurs qui se sont fait « piéger ». Les informations mises en accusation peuvent être de nature macroéconomique ou microéconomique.

Les statistiques macroéconomiques
Au niveau macroéconomique, il est d’usage de pointer du doigt, a posteriori, l’opacité des pays dans lesquels on a perdu de l’argent. Par exemple, certains commentateurs ont considéré que les crises de 1997 s’étaient déclenchées en partie parce que les statistiques des pays asiatiques manquaient de transparence et de fiabilité. Après avoir utilisé l’expression de « miracle asiatique », on utilisait à l’égard des Dragons
Le qualificatif « économies de la connivence ».

Une analyse en termes d’insuffisance de l’information a également été faite dans le cas de la crise russe de 1998. Peut-être cet argument n’est il pas entièrement infondé pour certaines crises, mais il ne suffit sans doute pas à expliquer ni les excès d’enthousiasme ni les déclenchements des crises.
Dans le cas de la crise asiatique, le fait que les statistiques gonflaient peut-être la croissance ne constitue pas l’élément central de la crise. Comme le remarque Paul Krugman dans Pourquoi les crises reviennent toujours, il ne faut pas douter de la réalité de la croissance asiatique avant 1997 : « Les progrès de l’Asie étaient visibles à l’oeil nu – les gratteciel là où autrefois il n’y avait que des cabanes, les routes à la place des pistes, les automobiles au lieu des bicyclettes. »

Les comptes des sociétés
 

Au niveau microéconomique, on déplore parfois l’information insuffisante, voire mensongère, dispensée par les comptabilités des entreprises, ainsi qu’un contrôle trop lâche exercé par leurs dirigeants, quand ce n’est pas des pratiques mensongères ! Il y a quelques années, plusieurs affaires ont défrayé la chronique aux États-Unis : Imclome (biotechnologies), Qwest Com et WorldCom (télécommunications)… mais surtout Enron.
Cette société texane, spécialisée dans le courtage de l’énergie, s’était développée très rapidement au point de devenir une des plus grosses capitalisations américaines. Elle procédait à une telle inventivité comptable et juridique que le chiffre d’affaires était exagérément gonflé, les actifs largement surévalués et la situation globale du groupe très difficile à saisir. Les comptes étaient certifiés par le cabinet comptable
Arthur Andersen. Celui-ci avait fait plus que fermer les yeux ; il avait activement couvert certaines manipulations, par exemple en détruisant des documents. Quand l’engouement général pour Enron a brusquement cessé, une spirale s’est enclenchée qui a non seulement conduit Enron à la faillite (en décembre 2001), mais aussi entraîné la condamnation et le dépeçage du cabinet Arthur Andersen, qui avait perdu ce qu’il y a de plus précieux pour ce genre d’activité : sa réputation. Si le marché est mal informé à causes de manipulations comptables, comment pourrait-il fonctionner de façon efficace ? À la suite des affaires de manipulation comptable du début des années 2000, plusieurs pays, dont les États-Unis, ont durci les exigences imposées aux entreprises en matière de fiabilité des informations. En France, cela s’est traduit par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 puis par la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et modernisation de l’économie.

L’absence d’information concernant certains nouveaux acteurs de la finance

Qu’il puisse y avoir, dans le domaine des statistiques macroéconomiques, une information incomplète ou embellie, est un reproche souvent fait par le monde de la finance. En revanche, certains font le même type de reproche au monde de la finance. Ils déplorent que des nouveaux acteurs, comme les « hedge funds », n’aient à respecter presque aucune obligation d’information et ne soient pas soumis au contrôle prudentiel.

Des compétences dépassées par la complexité ?
Chez les non-spécialistes de la finance…
La complexité des produits et des montages financiers devient parfois telle que les acteurs peinent peut-être à s’y retrouver eux-mêmes. En tout cas, elle brouille singulièrement la vue de ceux qui sont à chacun des bouts de la chaîne financière : les emprunteurs et les prêteurs. Dans le rapport n° 78 du CAE consacré à La Crise des subprimes, les auteurs constatent la « hausse des prêts aux ménages économiquement les plus fragiles (…) Or, dans le même temps, les contrats de prêts sont devenus de plus en plus complexes : en particulier, la part des prêts à taux variables et des prêts hybrides (dont le taux est réajusté à la hausse, après une période de deux ans, par exemple) a fortement augmenté. » Il n’y a pas qu’aux emprunteurs que les professionnels de la finance proposeraient des produits qui dépassent leurs compétences et dont ils ne peuvent pas se méfier. « À l’autre bout de la chaîne, constate le même rapport, certains épargnants ont aussi été victimes de la complexité des produits financiers. » Du fait de certains habillages publicitaires équivoques, des ménages, soucieux de placer leurs économies, ont cru acquérir des placements monétaires sans risque alors qu’ils achetaient des produits risqués issus de la titrisation. Jouer ainsi sur le manque de compétence financière des gens dont ce n’est pas le métier entretient la frénésie pour la finance quand tout va bien. Mais ce genre de pratique sape, lorsque les choses tournent mal, un principe fondamental de la sphère financière : la confiance.

… et aussi chez les professionnels

Il se peut aussi que les acteurs des marchés eux-mêmes, ainsi que les autorités chargées de les réglementer, soient constamment en retard par rapport aux dernières innovations financières. Le rapport n°50 du
CAE sur les crises financières estime ainsi que « chaque innovation majeure, en stimulant de nouvelles stratégies, a débouché sur une fragilité financière, appelant en retour une forme ou une autre de réglementation ». Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, le rapport estime que la crise boursière de 1987 semble résulter, entre autres facteurs, de « la généralisation de routines d’achat/vente incorporées dans des logiciels (programm trading) ». À chaque fois, la communauté financière mettrait du temps à s’adapter à ses propres innovations, ce qui entretiendrait une séquence « innovation, crise, apprentissage ». La réglementation, quant à elle, serait toujours « en retard d’une guerre ». Dans l’ouvrage collectif Comprendre la finance contemporaine, Paul Jorion fait ce constat à propos des subprimes : « Réglementer prend beaucoup de temps, et c’est une tâche ardue (…) Les premières mesures sur la réglementation du secteur subprime sont entrées en vigueur en décembre 2007, alors que ce secteur n’existe plus depuis l’été 2007, date à partir de laquelle aucun prêt de ce type n’a plus été accordé. »


                 A SUIVRE DANS LA DEUXIÈME PARTIE  

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