Vers une réassurance mondiale des risques des producteurs pauvres
On sort toujours mieux, et plus vite, d’une crise quand on a une
esquisse de scenario pour l’après-crise. Dans celle que traverse le
monde aujourd’hui, l’Afrique a une carte à jouer : chez elle se trouvent
les pays émergents de demain et d’après-demain, futurs relais de
croissance pour l’économie mondiale. Mais elle conserve aussi un sérieux
handicap : elle est vulnérable, car la plupart de ses producteurs le
sont, menacés par trop de risques face auxquels ils restent désarmés.
Vulnérabilité ou croissance, ce sera l’une ou l’autre, et pour que la
croissance l’emporte, l’Afrique a besoin d’être réassurée.
Un grand pas a été franchi. Alors que la diffusion
de l’assurance a longtemps été regardée comme une retombée future du
développement économique, il est largement admis qu’elle peut être un
levier du développement, surtout lorsqu’elle concerne les risques
primaires qui affectent la capabilité des producteurs pauvres, à la
racine du processus de développement. La liste des « vertus » de
l’assurance est, en effet, considérable : rapidité et transparence de
l’indemnisation des victimes, atténuation de l’effet paralysant du
risque, protection des acquis des efforts antérieurs, restauration
accélérée du potentiel sinistré, responsabilité accrue des individus,
réduction du risque de crédit, meilleure efficacité des aides au
développement déployées par ailleurs, etc. Et puis les faits sont là :
la diffusion de la micro-assurance dans le monde démontre que, même au
seuil de pauvreté, des gens font volontiers l’effort de s’assurer si ils
y voient leur intérêt à terme.
Mais un obstacle de taille barre le chemin. Un
système d’assurance reste fragile s’il ne comporte aucun dispositif de
réassurance pour traiter les sinistres exceptionnels (en coût ou en
fréquence). Outre l’avantage « technique » de renforcer la capacité des
unités locales d’assurance et de rendre abordable la couverture des
grands risques, la réassurance contribue fortement au développement en
libérant du capital pour des usages productifs, et en abaissant le
rendement requis du capital puisque celui-ci est globalement moins
exposé au risque.
Or les deux conditions d’émergence de la réassurance
– capacité financière disponible, et maturité du système financier
local – font précisément défaut dans les pays les moins avancés. La
crise y a encore compliqué la situation : aux besoins accrus par les
effets de la crise s’ajoutent un endettement plus difficile et des fonds
publics plus rares pour l’aide au développement.
La capacité de réassurance étant absente sur place,
il faut aller la chercher au niveau mondial : c’est l’objet du projet
Planète Ré. Des financement divers sont possibles pour alimenter la
réserve de Planète Ré : amorçage par dotation publique, primes de
réassurance, émission de poverty bonds (risques titrisés sur le modèle
des cat-bonds ou des dérivés climatiques), dépôt – temporaire et
rémunéré – d’une fraction infime des transactions financières
internationales avant restitution à ses propriétaires… hors aléa
catastrophique ! Comme les poverty bonds, ce simple échange de risques –
sans surcoût pour l’économie mondiale en crise – exposerait les
investisseurs à des pertes aléatoires du même ordre de grandeur que sur
les marchés financiers.
Concrètement, Planète Ré est imaginable sous trois
configurations principales, qui peuvent préfigurer une mise en œuvre par
étapes : mécanisme partiel régional ou thématique (sécurité
alimentaire, santé, sureté agricole, accidents climatiques, etc.),
consortium détenant conjointement la capacité de réassurance ultime, ou
institution spécifique. Quelle que soit la forme retenue, l’originalité
de Planète Ré réside dans son principe fondateur (connecter les risques
locaux à la sphère financière globale), sous la protection d’un cahier
des charges exigeant : dans l’intérêt même des populations concernées,
le contexte spécifique des pays à bas revenus ne saurait excuser la
moindre faiblesse à l’égard des règles actuarielles, des critères
d’assurabilité et, plus largement, des normes de solvabilité qui
régissent les activités d’assurance. C’est seulement ainsi que sera
relevé le défi de mettre la mondialisation financière au service des
plus pauvres.
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